Quelle utopie pour Mexico?

Publié le par Jérôme

Je lisais à l'instant des propos que tient Serge Latouche* dans la revue Urbanisme (janvier-février 2006) : "Deux forces, essentiellement, font avancer l'histoire : l'idéal et les coups de pied aux fesses. L'idéal c'est l'utopie et les coups de pied aux fesses ce sont les catastrophes".

 

 

Alors pourquoi l'histoire n'avance-t-elle pas à Mexico ? Doit-on attendre impatiemment que se produise une catastrophe majeure pour espérer que les choses bouges? Certainement pas. C'est par l'utopie que l'on peut espérer mouvoir les positions empêtrées dans les urgences du court terme. "Nous sommes ordinairement tentés d'affirmer que nous ne pouvons pas mener une autre vie que celle que nous menons actuellement. Mais l'utopie introduit un sens du doute qui fait voler l'évidence en éclats (...). A une époque où tout est bloqué par des systèmes qui ont échoués mais qui ne peuvent être vaincus... l'utopie est notre ressource" (Paul Ricoeur). 

 

 

Existe-t-il une utopie pour Mexico? Pas à ma connaissance. Tous autant que nous sommes, nous restons dans la critique du système actuel (les transports défaillants, la sur-consommation des ressources en eau, l'assainissement insuffisant) en stigmatisant la croissance d'une ville malade ...Tous autant que nous sommes nous proposons des bribes de solutions calquées sur celles mises en oeuvre dans les pays dits "développés" (transport public multimodal, maîtrise de l'étalement urbain, mixité sociale...) alors même qu'elles sont perfectibles et qu'elles ne résolvent qu'à la marge les problèmes qu'elles sont censées affronter (ségrégation socio-spatiale croissante, augmentation de la part modale de l'automobile, périurbanisation galopante autour des métropoles régionales...). Pour Mexico, il faut une projection, un ensemble de solutions de fond qui ne rougieront pas de la radicalité de leurs conséquences. Il faut pourtant avoir à l'esprit la métaphore intelligente qu'emploie Serge Latouche*. "Le toxico-dépendant préfère continuer à fréquenter son dealer qu'à entreprendre une cure, il faut vraiment qu'on le mette en face d'un danger de mort pour qu'il finisse enfin par rompre, mais il n'empêche qu'il sera mieux. Même s'il n'a pas le courage de l'entreprendre, il peut en rêver".

 

 

C'est important de faire rêver les gens. C'est avec eux que l'on peut bâtir l'utopie. Les chilangos** sont conscients de la vulnérabilité de leur Mexico querido en même temps qu'ils revendiquent les conditions de progrès qui leur permettront de vivre confortablement. Arrivés de toutes les contrées du Mexique, anomiés par l'immensité de la ville, ils cherchent un crédo. Ce crédo, c'est le capitalisme, vecteur de croissance. Les embouteillages augmentent, alors on décide la construction d'une autoroute à deux étages. Après tout, il faut que l'industrie automobile fonctionne, de même que le BTP. Et puis un tel ouvrage offre une visibilité au maire, qui par la transformation de l'espace public marque le territoire de son action politique. Une autoroute à deux étage véhicule-t-elle du rêve?

 

 

Aucune utopie ne révolutionne Mexico. Elle suit le chemin de la croissance sans trop savoir jusque quand elle pourra se laisser gangrener par ses métastases. Elle sort, par le bas, des catastrophes annoncées, c'est la solution du "toujours plus". Certes, des alternatives sont proposées mais elles engagent le court terme. Et forcément, leurs effets pervers sont nombreux. Pour reprendre l’exemple de l’autoroute : accroissement de la demande de transport (on est incité à prendre la voiture puisque cela circule mieux), inégalités socio-spatiales (seuls les possesseurs de voiture peuvent se déplacer confortablement au sein de la ville), pollution atmosphérique, ...

 

En conclusion, je poserais simplement deux questions fondamentales. La première : par quelle entrée peut-on faire émerger une utopie pour Mexico? Et conséquemment, qui peut être le porteur légitime d’une telle utopie ? Je suis d'accord pour critiquer ce qui est, mais idéalement toujours au profit de ce qui pourrait être ! L'édifice reste à bâtir... J. LE JELOUX

*Serge LATOUCHE est économiste, théoricien de la "décroissance" ; ** les chilangos sont les habitants de la ville de Mexico

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